HistoireI.
Holly n’est pas vraiment capable d’exprimer quel est son premier souvenir avec la magie, mais elle a de nombreuses réminiscences de son enfance avec ses deux parents dans leur appartement à Brooklyn où les pancakes volaient de la poêle à l’assiette le matin et où le jus de citrouille coulait à flots.
Elle se souvient aussi de la voix sa mère lui lisant moult histoires d’aventures le soir pour s’endormir, tournant les pages d’ouvrages plus ou moins écornés grâce à sa magie. Holly se voit encore blottie contre son père, qui se demandait lui aussi ce qui allait arriver au sorcier affrontant le gigantesque Dragon cracheur de feu, peut-être juste avec un peu moins de passion que la petite fille.
Une enfance heureuse, sans évènement particulier. Une enfance de fille unique, parce que Naomi et Anthony ne lui ont jamais fait de petit frère. Holly ne saura que plus tard que ce n’était pas une volonté de leur part et que s’ils sont plus âgés que les parents de ses amis, c’est parce qu’elle avait déjà été de la magie dans leur vie de sorciers en quelque sorte, et ce, sans attendre de manifester le moindre pouvoir.
II.
Perplexe. C’est probablement le mot qui décrit le mieux Holly actuellement. Raide, aussi, peut-être.
"Tu te sentira mieux après avoir écrit ce que tu ressens."Sûrement qu’elle se sentirait mieux. Elle veut bien croire à ce que lui avait sorti la douce psycho-mage à lunettes que son père l’avait forcé à aller voir. Seulement, encore faut-il savoir ce que l’on ressent pour l’écrire. La jeune fille soupire, avant de poser la pointe de sa plume sur le parchemin.
J’ai treize ans. Ma mère est morte y a un mois après avoir été malade plus de deux ans. Un cancer, une maladie de non-maj qu’on n’est même pas capable de soigner avec la magie, apparemment. Elle est mieux où elle est, au moins. C’est pas tellement tragique, je crois.Holly se gratte la nuque, les yeux obstinément secs tel le désert du Sahara et regarde dans le vide quelques instants, clignant occasionnellement des paupières. De la frustration ? De la déception ? De la colère, d’une certaine façon, peut-être ? Mais contre quoi, après tout ? Une maladie ? C’est stupide.
Bref, je suis toute seule avec papa. En soi, ce n’est pas si mal. Il est chouette. Franchement, je connais des gens bien plus à plaindre que moi en matière de parent restant. On s’entend bien, il n’est pas trop intrusif, pas trop sévère, pas trop Elle ne sait pas trop comment continuer sa phrase. Comme elle ne sait pas exactement pourquoi elle n’a pas trop envie de la continuer. Holly se revoit à l’enterrement de sa mère, étrangère à la situation, pas à sa place. Elle revoit le regard pesant des gens sur elle, qui ne pleure absolument pas lorsque tout le monde était effondré.
C’est juste que c’est mon père et c’est ultra gênant de lui parler de tout ce qui peut se passer actuellement en moi. Genre les trucs de mon âge, qui lui ne lui sont jamais arrivé, puisque c’est un homme.Holly se sent sotte d’écrire tout ça, surtout qu’elle avait pas mal lu sur le sujet de la puberté. Donc par définition, elle n’avait que peu d’interrogations sur ce qui était en train de se passer chez elle. Mais en fait, voilà.
J’aurais voulu partager ça avec maman. Qu’elle m’explique et me guide plutôt que d’être livrée à moi-même ou à qui que ce soit d’autre. Mais ça ne se fera jamais.Jamais. Précisément le mot qui change tout. L’encre de sa plume bave un peu. Les larmes qui refusaient obstinément de couler depuis un mois sont comme libérées.
En y repensant quelques années plus tard, Holly se dit que sous cette spontanéité naturelle se cache tout de même une sacrée constipation émotionnelle pour les choses importantes.
II.
Les conversations qui l’entourent ne représentent pas plus qu’une vague rumeur à ses oreilles. Holly est bien trop perdue dans ses pensées, à regarder ce garçon qui lui plait tellement, mais à qui pourtant elle n’ose pas adresser la parole alors qu’habituellement c’est si facile…
« Hé, tu m’écoutes ?! »Un sursaut la parcourt tandis qu’elle cligne des yeux comme pour se réveiller d’un sommeil particulièrement profond.
"Hm, vite-fait. - Sympa. Je te demandais si tu allais faire une spécialisation après les ASPIC ?"Les yeux de Holly s’agrandissent de stupeur. Ils allaient tous passer les ASPIC en fin d’année et cela parait à la fois très proche et très loin à la jeune fille de presque 17 ans. Son visage se fend d’un sourire en coin.
"T’es plutôt sereine pour t’en soucier que maintenant en vrai."Son sourire s’agrandit, alors que son amie semble se vexer. Elle enchaine sans lui laisser le temps de répondre, d’un ton très assuré :
"Moi ça fait au moins depuis deux ans que je sais que je veux être Auror, donc spé magie offensive et défensive. Pas tellement pour la bagarre, plus pour les enquêtes, la vie palpitante. J’ai pas envie de me faire chier dans un bureau et j’ai pas assez de talent pour devenir championne de Quidditch."Son ami rit, sans doute en se remémorant la chute de Holly, poursuiveuse de son état, lors du dernier match opposant les Thunderbird aux Horned Serpent.
"T’es au courant que les Auror ont surement de la paperasse à faire ? - Ouais, bien sûr. Mais c’est pas le cœur du métier. Et puis je pourrais sûrement voyager !"En fait, la seule chose qui fait que Holly n’est pas trop impatiente d’embrasser pleinement sa future carrière, c’est bien le confort et l’insouciance de l’école : le garçon de toute à l’heure lui sourit. Holly rougit et détourne la tête. Et puis elle se rend compte de son impolitesse et reprend un ton jovial comme si son embarras n’était qu’un rêve.
"Et toi alors, dis-moi tout !"Son amie lève les yeux au ciel, semblant hésiter entre rire et consternation la plus complète.
"Sérieusement, il t’arrivera des bricoles à ne pas écouter les gens."Holly laisse échapper un rire nerveux.
"C’est ce que tu me disais avant de me poser la question, c’est ça ? Oups !"IV.
Il s’agit d’un matin comme les autres, à l’exception que c’est la rentrée en huitième année pour Holly.
Elle se souvient comme si c’était hier de sa répartition chez les Thunderbird – bien qu’elle aurait tout aussi bien pu finir chez les Horned Serpent, parait-il – et a l’impression que ces dernières années sont passées tel un soupir. Juste avant les vacances, elle passait ses ASPIC et apprenait qu’elle était reçue pour la spécialisation qu’elle attendait depuis ce qui lui semblait paradoxalement une éternité.
Est-ce que c’était ça, le sentiment de prendre de l’âge, de mûrir ? Avoir l’impression que tout file, comme s’il fallait faire une course contre le temps pour pouvoir tout faire… Holly n’a guère le temps de méditer la question, puisqu’elle constate avec effroi qu’elle est déjà en retard pour partir à l’école. Comme l’année dernière. Et l’année d’avant.
"Certaines choses ne changent pas à ce que je vois."Pour toute réponse de sa fille, Anthony a le droit à un grognement.
"Je peux au moins avoir un câlin de ma citrouille avant qu’elle ne m’abandonne ?"Ce surnom gênant aurait surement irrité Holly quelques années plus tôt, mais elle se contente de serrer son père contre elle, avant qu’il ne lui dépose une bise sur le front.
"Prend soin de toi, d’accord ? On s’écrit !"Cela fait quelques temps que la situation sorciers/non-majs est tendue et même s’il n’y a pas vraiment matière à s’inquiéter tant la famille Watson n’est pas politisée, Holly ne peut s’empêcher de ressentir un petit pincement au cœur en passant la porte de l’appartement, laissant son père au moins jusqu’aux vacances.
V.
Le cours des études de Holly se poursuit le plus normalement possible. Encore un peu moins de deux ans à faire : une partie d’elle est excitée comme une puce à l’idée d’intégrer le MACUSA comme Auror. L’autre se dit qu’il y a encore tellement de choses à vivre en tant qu’étudiante... Pourra-t-elle être aussi libre lorsqu’elle travaillera ? Ma foi, elle a encore le temps de voir venir, non ?